• Je ne vois rien, strictement rien... Non rien, rien du tout.
    Pourtant, j'ai vu tous les tableaux, des photos par milliers et presque autant de sculptures... mais là, rien...




    Madame « Je ne sais pas son nom » avait pourtant une douzaine de photocopies ratées sous le nez. Mais là, rien à faire. Même ses lunettes semblaient l'abandonner. Elle avait beau les mettre, les retirer, les mettre à nouveau, s'éloigner puis s'approcher, toujours rien. Elle s'interrogeait ; bientôt s'exclamait, pour enfin gronder : « Il n'y a rien à voir ». Venir et ne rien avoir. Dans une franche déception, elle me lançait un regard noir. « Mais je n'ai rien fait » balbutiais-je... Madame « je ne sais pas son nom » venait d'entrer dans la dimension de l'art contemporain prospectif et inaugural. Là où, qu'on ait une expérience esthétique voire mystique ou pas, peu importe. On y expérimente, en tout cas, très concrètement la frontière entre ce qui est et ce qui n'est pas. Bientôt la nature artialisée dissipera dans un même mouvement sa transparence de sorte que sa présence s'offre au regard de chacun d'entre nous.


    Les travaux fondés sur l'emploi de photocopies ratées, ne procèdent pas d'une logique morbide qui constaterait une fin de l'art ou une pénurie des possibles. Bien au contraire, l'entreprise affiche la prétention d'un renouveau inaugural du regard et c'est en cela, que ce travail subversif joue de la provocation. Il n'est pas question d'une dévalorisation cynique de l'image, ni d'une quelconque transgression pour seule finalité.


    Résolument public, ce travail interroge le sens profond de notre quête d'icône et son inévitable pendant iconoclaste. Adieu, alors, à l'art pour l'art, à l'insertion autobiographique, mais également à la notion de style, qui constituent autant d'obstacles à l'appropriation par les publics. Pour cela, il fallait réduire l'intervention de la main puis rendre la part de décision minimale. Ainsi seulement, l'œuvre ne se dérobe pas au regard ; mieux encore, celui-ci en devient la condition nécessaire.


    Les photocopies disqualifiées puisque ratées n'ont ni fonction, ni utilité. Ce ne sont pas pour autant des déchets, en ce sens, qu'elles ne sont le vestige d'aucun usage. Enfin, aussitôt la méprise constatée, on en vient à nier jusqu'à sa propre existence dans un double mouvement de rejet et d'effacement. L'oubli du symptôme induit une privation d'existence à l'objet. En formes vides, ces « non-objets » se singularisent par l'absence de statut ; ainsi échappent-ils à toute conceptualisation.


    Sous l'emprise d'une contemplation esthétique, les photocopies ratées sont soudainement investies de significations aussi multiples qu'élaborées. Glissant du hasard au lapsus, l'objet regorge de sens ou plutôt il s'en fait le réceptacle. Il n'est pas question de révélation, tout comme il n'y a là pas plus de vérité – si ce n'est, peut-être, une faillite de l'en-soi. La cristallisation du sens et sa translucidité sont ici des préoccupations majeures. Elles désignent une dimension relative à la qualité de l'objet, une fois reconnu comme tel, puis une dimension plus spécifiquement liée à la qualité d'image, dès lors qu'on lui accorde ce pouvoir. On envisage alors combien la croyance détermine le regard. C'est en cela que l'œuvre permet d'appréhender et de percevoir très concrètement le déterminisme de tout regard en liaison directe avec cette impérieuse nécessité de donner du sens. La recherche plastique ne se borne donc pas à l'artistique, mais dresse des ponts vers l'esthétique, le culturel et l'éthologique.


    Si l'œuvre est ce qui est présenté, elle intègre d'avance le prolongement qui lui sera réservé. Ainsi, le discours du spécialiste mais également celui des publics, qu'ils procèdent par rejet ou adhésion, en sont constitutifs. L'œuvre n'aurait rien d'immuable et on pourrait en faire l'histoire, celle de l'objet qui bouleverse le regard, mais également celle du regard qui la module rétroactivement.

     


    Olivier Beaudet



     


    Olivier Beaudet, Rien à voir, photocoppies ratées, «Recherches prospectives, aperçu», olivierbeaudet.fr.st (url inexistant depuis 2002), 1999.


    iconographie : olivier beaudet, 72 rendez-vous avec le hasard, 178 x 252 cm, photocopies, 1993-1994

     

     

     


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