• Entre l'oeil et l'image, nouvelle prospective



    Derrière la diversité des formes qu'emprunte le travail prospectif d'Olivier Beaudet, du collage à l'installation, de la photo à l'image retouchée sur ordinateur, se dégage une recherche constante sur les relations que nous tissons autour des objets et les valeurs conventionnelles qui les habillent. Devenue matière première depuis 1996, l'image fait l'objet de manipulations variées destinées à explorer les projections - psychologiques ou perceptives – voire cette incapacité que traduit le rejet. On pourrait résumer ce travail à une volonté d'analyser les mécanismes culturels qui déterminent et orientent les perceptions. C'est donc une double recherche qui est poursuivie. Elle porte à la fois sur la construction du sens, comme sur sa propre altérité.


    Les nouveaux territoires

    C'est l'un des grands axes du travail que mène Olivier Beaudet : déceler de nouveaux territoires. Sans connotation métaphysique, cela suppose une capture de l'invisible, qu'il tente alors de rendre visible. Ainsi, la relation au spectateur devient essentielle. Celui-ci se trouve confronté à un objet qui n'a pas encore de concept. Aussi, il n'y a pas d'adhérence. Ou plutôt, pour qu'elle ait lieu, le public est contraint d'explorer très concrètement la dimension de la création du sens, alors même que celle-ci se dérobe. Les photocopies ratées collectées, véritables actes manqués, loin d'une expérience nihiliste, formalisent ce processus. Elles accusent la faillite de l'en-soi. Plus qu'une production de sens, il s'agit d'interroger son élaboration.


    Les images ambiguës prolongent l'orientation. Ainsi, l'impression du code binaire d'une photographie érotique numérisée ouvre sur une dimension nouvelle, celle du nu-mérique, dont Olivier Beaudet envisage avec humour la possible déception qu'elle inaugure. Ce « bug » d'impression devenait, plus tard, avec les mots d'Alain Renaud, l'image anoptique. La première photocopie « ratée » acheiropoeite - créée sans la main - numérisée, imprimée sur une toile de grand format, puis enfin intitulée Icône pose la question de sa propre identité, puis celle de sa propre légitimité ainsi transfigurée.


    Dire d'une image qu'elle est numérique, cela définit son territoire, l'espace de son déploiement. Mais cela définit également sa nature plus que sa matérialité. Cette dernière tendrait à se dissoudre, comme du sucre dans du lait chaud. Voilà donc venue l'ère de l'image anoptique comme l'annonçait A. Renaud, une image sans imagerie apparente, pas nécessairement visible et non visuelle, une image devenue énergie pure, une image en mouvement dont Olivier Beaudet envisage avec un gai scepticisme le devenir. S'il a souvent exploré ces propriétés, ses recherches qui oscillent entre théorie esthétique et empirisme plastique, l'ont amené à se confronter à l'expansion quasi explosive de l'imagerie sur le réseau.


    L'Internet s'est constitué spontanément comme le lieu privilégié de la consommation en général, et celle d'images en particulier. Difficile d'en ignorer les aspects anoptiques, mais il serait naïf d'isoler les perspectives visuelles. L'image n'est pas seulement une information traduite en énergie électrique, qu'il s'agisse de nerf optique ou de fibre optique. Elle est aussi cette matière (soit elle essentiellement lumineuse), également cette représentation mentale et son inévitable anticipation (culturelle). L'image numérique dispose de cette possibilité d'être à plusieurs endroits au même moment.


    Exploration


    La recherche formelle est trop souvent dissociée de son objet, comme si ce dernier n'était finalement qu'un prétexte. L'excès inverse qui postule un prima du sujet sur la forme donne lieu au même genre d'incompréhension. L'usage de la photocopie ratée permit de résoudre cette contradiction. L'objet est à la fois matériau et objet de la création.


    On peut alors saisir à quel point ces travaux sont décisifs. Ils ont permis d'intégrer l'image comme matière première. Toutefois le passage d'un usage de la photocopie ratée, dont le statut s'avère indéterminé, à celui d'une photographie libre de droit, reste délicat. Les travaux minimalistes comme Macula conception ou encore Eyes in the Heat, en marges, qui exploitent des fragments de photocopies usuelles, constituent la première étape de cette démarche intégrative.


    Viennent ensuite les travaux élaborés à partir de diapositives jetées. La superposition de paysages se joue d'une perception de l'ordinaire et met en accent l'hypnose d'une banalisation. La série des paysages - bord de... exploite ces images jugées sans esthétique - sans doute déclassées pour cette raison - et trop ordinaires pour que s'y greffent des valeurs artistiques. Leur banalité leur confère une étonnante et tenace furtivité. Tenace, puisqu'elle perdure dans cette œuvre dont les lieux perçus n'ont pourtant aucune réalité géographique. La banalité se dissout pour se faire invisible. Or si l'art rend visible, pour reprendre Oscar Wilde, il donne à voir, ici, cette transparence.


    La série des œuvres intitulée mimesis reprend ce processus sous un angle plus métaphorique. Puis, les images qui résultent de bugs d'impression, d'enregistrement ou de lecture informatique ouvrent sur cette dimension anoptique. Enfin, à la question que posait l'œuvre mon ordinateur est-il un artiste (is my computer an artist ?), Olivier Beaudet se réjouit et confirme les talents de la machine. La série des grands portraits, les portraits-robots, développe les véritables capacités de création numérique, en forçant l'ordinateur à interpréter au maximum les pixels constitutifs de l'image d'origine.


    Banalité trompeuse & entre-deux

    Ce second axe majeur des recherches plastiques d'Olivier Beaudet, emprunte cette fois à l'ensemble des images ultra exploitées ou banalisées, de sorte qu'elles s'offrent moins comme sujet que comme image. La série de diapositives Paysages - bord de route et bord de mer (superposition de diapositives) propose un jeu constant de va-et-vient entre des réalités objectives et leur évidente inexistence autre qu'artistique. Ce jeu s'étend à une profonde hésitation sur le statut de l'image. A l'expression « je crois ce que je vois », Olivier Beaudet ajoute « je vois ce que je crois ». Autrement dit, ce travail expérimente la frontière entre art et nature.


    Dans un proche processus, il joue et se joue de l'image à l'aide de la retouche assistée par ordinateur. Des photos numérisées ou libres de droits sont interprétées dans des jeux graphiques variés, qui induisent des décalages surprenants et trompeurs. Le premier coup d'œil oriente l'interprétation vers le dessin, Unpainted portrait d'AC (parfois le dessin d'enfant avec I love you...), le tableau abstrait Paysage photographique, parfois le simple papier peint. Cependant l'illusion n'est pas une fin. C'est pourquoi le processus de création reste volontairement identifiable. Ici, la perméabilité de l'image est souhaitée, de sorte qu'elle ouvre sur une dialectique de la représentation.


    Extensions

    D'apparence anecdotique, ce chapitre de l'activité de création chez Olivier Beaudet revêt néanmoins une importance cruciale. Il se propose d'apporter un contrepoint à l'entreprise paradoxale visant l'analyse, ou tout au moins le récit, de travaux plastiques qui n'ont pas encore dit leur dernier mot. Légitime, l'interprétation opère par réduction synthétique. Elle rassemble, concentre et donne une limpidité nouvelle dont le sens médiatisé se fait l'écho, comme un fil relirait une à une des perles dispersées. Les liaisons achevées, à l'éparpillement se substitue un collier unifié dont le projet, déterminant, devient révélé. Or l'intérêt d'une démarche prospective, c'est précisément cette volonté de faire partager les vertiges d'une exploration aventureuse de territoires inconnus, là où le concept se dérobe, là où le sens ne trouve pas immédiatement d'adhérence. L'assimilation artistique ou culturelle est au cœur des préoccupations plastiques, cependant la démarche se situe en amont. D'où cette attention particulière à redonner une dimension étendue et plurielle à l'ensemble de la recherche.


    Face à l'étonnante diversité des orientations de recherche qu'ouvre l'exploitation de l'image comme matériau et face à l'urgence critique des questions qui sont ainsi soulevées, on mesure à quel point l'originalité d'une telle approche peut être une ressource. La notion de style ou l'acte autobiographique s'effacent au profit d'une relation du spectateur à l'objet, promue et constituée comme partie intégrante de l'œuvre. Interrogeant, au-delà de l'apparente provocation, le public sur sa nature et sur son devenir, elle n'a pas d'autres prétentions que de stimuler et poursuivre un débat critique sur la fonction de l'art et, plus encore, sur le rôle de la croyance dans l'appréhension de la différence, de la nouveauté et de l'altérité.


    Olivier Beaudet

     




    Olivier Beaudet, Entre l'oeil et l'image. Nouvelle prospective, olivierbeaudet.fr.st, 1998, réédition et complément pour le projet d'exposition «ubiquïté» 2001

    iconographie : olivier beaudet, paysage photographique, image numérique, 1998







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